mercredi 14 octobre 2009

Sur moi-même (2)

À partir de 4 ans, je me suis mis à angoisser sur un étrange sentiment que j'ai intitulé "le syndrome du voir-tout-seul".

Imaginez prendre conscience de votre propre conscience tout en sachant ne pouvoir prendre connaissance de la conscience d'autrui, et ce, pour l'éternité. Je vais essayer d'être plus explicite mais cela s'avère extrêmement difficile. Il vous faut faire un effort intellectuel considérable, à moins d'avoir déjà expérimenté cette singulière pensée.

Regardez droit devant vous. Remarquez votre vue contemplant son champ de vision. Et bien, cette vision, c'est la vôtre. Or, vous ne pourrez jamais connaître la vision d'autrui. En généralisant rapidement: vous saisissez être prisonnier de vos propres sens. Ces derniers étant les seuls indicateurs vous permettant d'appréhender la réalité de votre propre existence, vous comprenez conséquemment être réduit à vos seules sensations, mêmes celles cérébrales.

On pourrait même croire à l'éventualité de l'unicité de sa propre conscience. Il n'y aurait que conscience qu'en soi. Comme si le monde était un vaste théâtre se déployant pour son unique (dé)plaisir. À la limite, on pourrait supposer une matrice dans laquelle notre existence joue le rôle central: celui qui "goûte" le plan spatio-temporel composé par un "mauvais génie", voulant se rire de notre perception virtuelle de ce qu'on croit être réel. Admettez maintenant l'idée de voir les autres comme des pantins menés par un marionnettiste divin. En ce cas, les autres ne seraient pas conscients; ils feraient semblants. Ils seraient comme des robots programmés pour donner l'effet d'être des êtres conscients. En fait, ils ne feraient qu'agir selon le scénario établi. De là j'ai tiré cette expression saugrenue: "je vois tout seul". Je suis seulement sûre de ce que je vois. Je ne peux voir ce que les autres voient. À présent, n'allez pas croire que je sois mégalomane; toute cette théorie est purement conceptuelle. J'ai même envisagé l'idée d'être moi-même un pantin pensant n'être pas un pantin, programmé à penser cette possibilité.

Vous auriez dû me voir pleurer à cette idée. J'avais 4 ans, 5 tout au plus. Ma mère disait: "Je ne comprends pas ce qu'il veut dire, je ne sais pourquoi il pleure, il essaie sûrement de nous dire quelque chose." Mon père de répondre: "Il est fatigué, ça va passer." Je ne peux leur en vouloir; je n'avais pas le vocabulaire pour verbaliser cette bizarre impression.

Vers l'âge de 12 ans, écœuré de toujours penser à cette débile pensée, je me suis finalement dit: "Écoute, jusqu'à ta mort, coûte que coûte, t'es pris avec toi-même. Inutile de ressasser continuellement cette absurde invention de ton esprit." L'angoisse est parti mais cette insolite représentation de l'esprit m'est toujours restée en mémoire.

Il serait plutôt insensé de considérer sérieusement ce "syndrome". Toutefois, une certitude reste: je ne pourrai jamais être dans la tête d'un autre, ni l'autre être dans la mienne. Donc, comment savoir si l'autre existe? Comment savoir ultimement si ma vie (que je vis) n'est pas qu'un rêve? Je vous donne deux indices: René Descartes et "Je pense, donc je suis".

N.B.: C'est moi à 7 ans... bien angoissé.

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