Ce fut une vrai descente aux enfers. J'avais pris le pari de continuer mes études aux cycles supérieurs tout en accomplissant un certificat de journalisme. Rien n'y fit: ma moyenne au baccalauréat était trop faible, ce qui m'empêchait de présenter un mémoire pour compléter ma maîtrise. J'avais pourtant l'une des meilleurs moyennes du département pour les deux derniers trimestres. Cependant, je m'étais repris en main beaucoup trop tard. J'aurais pu détourner le système en allant étudier à l'Université Concordia (puisqu'il accepte une moyenne inférieure). Toutefois, je devais prendre en compte mon niveau alarmant d'endettement étudiant (près de 50 000$ avec les dettes de mon épouse).
Les portes du possible se fermaient soudainement devant moi pour la première fois de ma vie. Je me mis à regretter amèrement toutes mes beuveries, mes séchages de cours et mes choix d'études. J'eus beau appliquer comme professeur de cégep mais aucune école ne me reçut en entrevue. Par exemple, le Cégep de Sept-Îles avait le choix entre 140 candidats pour un poste temporaire renouvelable pour un maximum de deux ans. Évidemment, ma candidature fut rejetée. J'entrai dans une forme de catatonie me laissant dans un état végétatif sans précédant. Je ne voyait aucunement comment j'allais me tirer d'un tel pétrin.
Je fumai, je jouai à des jeux de plateaux, à des jeux d'ordinateur requérant toute ma concentration et je lus encore plus de journaux que je ne le faisais déjà. Je me mis à explorer par internet les conspirations les plus folles en leur prêtant considération. Cela dura presque deux mois.
J'observais souvent ma femme aller et venir entre son école et notre appartment. Elle vaquait à ses occupations comme si de rien n'était. Je me demandais sincèrement comment elle pouvait me supporter. Je me demandais sincèrement où elle pouvait puiser la force pour m'encourager. J'imagine qu'elle savait instinctivement que j'allais sortir de ce gouffre de désespoir. Elle me dit qu'elle avait toujours eu confiance en moi. C'est difficile à croire en sachant pertinemment dans quel état je me trouvais.
Un matin, après avoir lu les petites annonces classées, je dis à ma tendre moitié: "Méli, je vais m'acheter un char et devenir livreur de colis." J'étais comme possédé par un esprit qui me motivait à agir. Encore aujourd'hui, j'ai toutes les difficultés à savoir où j'ai trouvé l'énergie nécessaire à m'extirper du marasme dans lequel j'étais prisonnier. L'amour de ma vie me dit simplement: "Si c'est cela que tu veux, alors fais-le." Deuxième étonnement; mon épouse me fait confiance dans un projet exigeant quelques sommes. Or, nous n'avions pas d'argent, nous étions endettés, mais nous avions des cartes de crédit.
Je vais à la banque. Je demande un prêt de 3500$ pour m'acheter un Golf diesel. C'est refusé puisque je n'ai pas de fonds monétaires ni d'endosseurs. Que cela ne tienne, je vais quand même acheter la voiture grâce à mes cartes de crédit. Je reviens voir la banque et je leur signifie qu'il vienne de perdre des sommes en intérêt puisque j'ai acheté ladite voiture en avances de fonds par cartes de crédit. Le préposé au financement me dit d'attendre quelques instants. La banque finalement me reçoit de nouveau et me dit qu'exceptionnellement elle m'accorde un prêt pour acheter le Volkswagen si je m'engage à rembourser l'avance de fonds sur mes cartes de crédit. Comme quoi tout se négocie dans la vie. Je pris à peine deux mois pour rembourser le prêt, de sorte que je n'ai payé que les frais d'ouverture de dossier.
Car je trouvai en moins de deux jours un emploi de livreur de colis dans une compagnie de messagerie express. C'était tellement pas payant. Pourtant, je payais tous les comptes et tout ce qu'on devait méli et moi. Après avoir payé la voiture, il ne nous restait rien. Je change donc et change encore de compagnie, mais rien n'y fait. C'est fou combien on est exploité en tant que travailleur autonome sur la petite messagerie: allocation minime, frais de réparation, de gaz, de location de radio émetteur, perte pour les livraisons ratées, etc. Et je ne vous parle pas des semaines interminables de travail: plus de 60 heures.
Alors, mon épouse me trouve un job de livreur de mets chinois. Je décide de l'essayer. Alors, c'est l'explosion de joie. Les pourboires étaient mirobolants, les allocations généreuses et de surcroît, j'avais un salaire horaire. Certes, je travaillais 35 heures sur les 7 jours de la semaine, mais je faisais du 700$ net par semaine. Pourtant, je lâchai cet emploi parce que le patron se mit à me "voler" des livraisons et à m'envoyer à l'autre bout de la ville. L'employeur avait le temps de faire 6 livraisons pendant que j'en faisait une.
Ça me permit d'avoir du chômage (je plaidai l'harcèlement psychologique) et de me trouver un autre emploi de livreur, cette fois chez St-Hubert. Je travaillais peut-être juste 15-18 heures, mais le salaire horaire, avec les pourboires, frisaient les 25$. J'étais redevenu en paix avec moi-même et je commençais à accepter mon sort de travailleur: il me suffisait juste de le combiner avec d'autres emplois à temps partiel pour me construire une petite vie. Et croyez-moi, c'était relaxe: jouer aux cartes entre les livraisons, escomptes sur les repas poulets et se rincer l'oeil à regarder le cul des petites serveuses. Hé!Hé! Le monde est pervers.
P.S.: Sur la photo, moi livreur de poulets St-Hubert.
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