mercredi 6 janvier 2010

Le vieillissement de la population (version finale)

Nous nous apprêtons à vivre le vieillissement de la population au Québec. Dans les prochaines années, la pyramide des âges prendra la forme inversée à celle que nous connaissons en ce moment. Les Québécois issus de la génération du baby-boom atteindront progressivement «l'âge d'or». Si bien que dans 20 ans, le quart de la population aura plus de 65 ans, comparativement à 15% présentement (1). À savoir également: l'espérance de vie dépasse maintenant 81 ans. Comme elle a progressé de deux ans en moins d'une décennie, on peut estimer qu'elle continuera de croître dans les années à venir (2). Ce phénomène de vieillissement exercera beaucoup de pression sur les dépenses en santé, qui monopolisaient déjà 43% du budget du gouvernement québécois en 2006 (3), prenant aussi considération qu'un Québécois de 75 ans nécessite quatre fois plus de soins qu'un adulte de 45 ans (4). Toutefois, ce qui est inquiétant devant ce constat, c’est que de moins en moins de travailleurs seront en mesure de verser des impôts au trésor québécois. La tranche de la population active, âgée de 15 à 64 ans, qui oscille autour de 70% depuis 30 ans, dégringolera rapidement à 60% en une quinzaine d'années.(5) Devant cette tendance inéluctable, le gouvernement québécois sera confronté à un défi de taille: maintenir ses finances à flot tout en voyant ses dépenses en santé augmenter de façon alarmante. Du point de vue provincial, le problème est déjà considérable. Mais regardons maintenant les perspectives régionales. En 2031, dans une vingtaine d'années à peine, la région du Saguenay-Lac-St-Jean, qui compte en ce moment environ 274 000 habitants, en abritera désormais 255 000. Si on répartit cette population projetée selon les groupes d'âge, on s'aperçoit que les jeunes ne seront plus que 46 000, tandis que le nombre de personnes âgées sera à 84 000. Fait encore plus spectaculaire, le nombre d'aînés dépassant la barre des 75 ans va passer de 18 000 à 43 000 en 20 ans. Dans la tranche des 20-64 ans, il ne restera plus que 125 000 personnes. Autrement dit, cette région se videra de ses jeunes tandis que le nombre de personnes âgées augmentera à une vitesse foudroyante. Entre les deux, la part des travailleurs du Saguenay-Lac-St-Jean aura perdu plus du quart de ses effectifs. Les spécialistes ont un outil pour mesurer les dommages causés par cette évolution: c'est le rapport de dépendance démographique. Pour l'obtenir, on additionne les jeunes et les aînés, puis on divise le résultat par la population de 20 à 64 ans et on multiplie par 100. Concrètement, dans la cas du Saguenay-Lac-Saint-Jean en 2006, cela veut dire 101 000 divisés par 173 000, ce qui donne 0,59. Multiplié par 100 égale 59. Il y a donc, pour chaque tranche de 100 travailleurs, 59 jeunes et aînés. Cet indice bondira à 105 en 2031. De façon générale, plus l'indice est élevé, moins il y a de travailleurs pour soutenir les enfants, les ados et les retraités. Quand l'indice dépasse 100, c'est malsain. Or, le Saguenay-Lac-Saint-Jean est loin d'être un cas unique. D'ici 2031, la Gaspésie perdra 26% de ses jeunes (un sur quatre, tout de même, quelle catastrophe) mais sa population âgée de 65 ans et plus augmentera de 112% (chez les 75 ans et plus, la hausse atteindra, tenez-vous bien, 142%). Cette région affichera à ce moment-là un rapport de dépendance démographique de 113, le plus élevé au Québec. La situation est à peine moins sombre en Abitibi-Témiscamingue, dans le Bas-Saint-Laurent et sur la Côte-Nord. (6) Derrière ces quelques chiffres se cache tout le drame de la dépopulation, mais surtout celui du vieillissement de la population des régions périphériques québécoises.

Pour contrer le vieillissement de la population et en atténuer les conséquences, plusieurs solutions viennent à l’esprit. Voici quelques propositions qui mériteraient, selon moi, d’être étudiées plus amplement par la population québécoise. La qualité de vie et la pérennité du système social québécois en dépendent.

Première proposition: le Québec a reçu en moyenne annuellement plus de 40 000 immigrants depuis 2002 (7). En comparaison, l’Ontario accueille, quant à lui, plus de 125 000 immigrants chaque année, ce qui constitue plus de la moitié de tous les immigrants reçus, bon an mal an, au Canada (8). En présupposant que le meilleur moyen de rajeunir une population consiste à contrecarrer son vieillissement par un afflux constant de jeunes nouveaux arrivants, on pourrait, dans un premier temps, chercher à accueillir autant d’immigrants que l’Ontario et, pour augmenter drastiquement notre population et rattraper ainsi le retard démographique vis-à-vis notre province voisine, se fixer comme objectif d’accueillir 250 000 immigrants par année d‘ici 10 à 20 ans. La somme semble colossale mais notre situation démographique va devenir de plus en plus intenable si on ne renverse pas la tendance lourde établie au Québec depuis de nombreuses années; gardons à l‘esprit que l‘âge moyen de la population québécoise est présentement de 41 ans et que celui-ci va continuer de se hausser dans les 50 prochaines années si rien n‘est fait. Mais revenons à cette idée de recevoir des immigrants par centaines de milliers: l’âge moyen de ceux-ci étant d’à peu près 27 ans (9), le fait d’admettre autant d’immigrants aura pour effet de changer en entier les perspectives de vieillissement de la population québécoise. Avant de dire que cela est irréalisable, rappelons-nous que la planète Terre compte près de 7 milliards de personnes, qu’un nombre incalculable de gens cherchent seulement une opportunité pour s’accomplir dans un pays riche et développé comme le nôtre, que notre situation démographique ne nous permet point de rejeter quelque demande d’immigration que ce soit, surtout si elle provient d’individus sans dossier criminel ou qualifiés pour l’immigration. Il restera à trouver les moyens appropriés de rétention afin de garder ces nouveaux arrivants, de leur permettre d’acquérir une formation pertinente afin de s’intégrer au marché québécois du travail ou de permettre à ceux possédant un grade d’étude pertinent d’obtenir une équivalence académique leur donnant la chance d’exercer le métier pour lequel ils ont étudiés dans leurs pays d‘origine. Finalement, il faudra instaurer des mesures coercitives afin de pousser les immigrants à s’installer en région. Montréal et Québec sont deux villes qui sauront faire face au vieillissement de la population provinciale quoi qu‘il arrive; on ne peut en dire autant de Ville Saguenay, cette ville étant nommée qu’à titre d’exemple. Devant des défis de taille, il faut des solutions de taille.

La deuxième solution envisageable serait la plus expéditive pour régler le problème du vieillissement de la population mais celle-ci est la moins applicable étant donné les difficultés qu’elle engendrerait et les obstacles dont elle devrait faire face pour devenir réalisable: augmenter le taux de fécondité des femmes québécoises. Celui-ci est d’environ 1,7 enfant par femme (10). Pour avoir un renouvellement de population il faut un taux de 2,1 (11). La tendance au Québec est certes à la hausse depuis 10 ans, mais le taux de fécondité est encore loin du seuil de renouvellement. Les politiques de congés parentaux et de subventions en garderie ont probablement contribué à augmenter le taux de fécondité mais ils n’expliquent pas à eux seules cette tendance. Il serait d’ailleurs intéressant de voir s’il n’y a pas plutôt un lien de corrélation entre les périodes d’embellis économiques et le fait que le taux de fécondité augmente durant ces dites périodes. Toutefois, les politiques de soutiens parentaux devraient être maintenues, voir bonifiées, afin de tirer à la hausse (et de façon maximale) la fécondité des femmes. Cependant, je pense qu’il serait nécessaire d’enquêter afin d’avoir des réponses sur le faible taux de fécondité de la femme québécoise. Pourquoi retarde-t-elle l’âge de fondée une famille? Pourquoi n’a-t-elle pas une famille plus nombreuse? Pourquoi le taux d’avortement (qui fait descendre conséquemment le taux de fécondité) est-il si élevé (28 000 en 2005) (12)? Les réponses risquent de nous éclairer et de nous montrer où nous avons échoué en tant que société: manque de soutien envers la mère, perte d’autonomie de la mère, refus d’implication du père, carrière en péril, volonté inexistante, peur d’un avenir incertain, etc. Autant de réponses qui mériteraient, selon moi, des solutions ciblées: soutien social accru par des politiques contraignantes, outils financiers et humains pour maintenir ou accroître l’autonomie des mères, questionnement approfondi sur le refus de l’implication des pères (et les solutions pour y remédier), mesures de discriminations positives en vue de faire progresser la carrière des mères qui retournent au travail, promotion du rôle de parents par tous les moyens médiatiques possibles, etc. Toutes ses solutions en vue d’augmenter le taux de fécondité seront difficilement applicables puisqu’elles exigeraient un soutien social total, ce qui est hautement difficile, étant donné le désir des femmes modernes de s’épanouir autrement que par l’enfantement, et ce, assurément avec raison. La somme de responsabilités qu’implique la naissance d’un enfant en 2010 (dans n’importe quelle nation développée) répond à la question du pourquoi de notre faible taux de natalité. Imaginez la naissance d’un deuxième, voir d’un troisième enfant, les répercussions engendrées sur la vie de couple et celle de mère parfois monoparentale, dans une société en constante mutation de surcroît.

Troisièmement, pour contrer le vieillissement de la population, ou du moins, en amoindrir ses conséquences, je propose qu’on promeuve le passage à la retraite le plus en douceur et le plus tardivement possible. Les personnes âgées doivent rester au travail le plus longtemps possible afin de soutenir les plus jeunes, qui ne pourront tenir à eux seuls le système québécois. Les jeunes veulent voir des partenaires et non des charges quand il regardent les gens âgés. À cet effet, il va falloir établir une vision positive du vieillissement, qui pourrait passer par une campagne de sensibilisation à l’échelle nationale. Il faudra également garder en santé les personnes âgées pour qu’elles puissent continuer de contribuer à la société en travaillant de façon adéquate. On peut déjà en déduire qu’il sera plus pertinent que jamais de garder la gratuité dans le système de santé puisqu’une plus grande proportion de la population en aura besoin; on avancera pas en tant que société en ayant des vieux malades à charge et mourants. Une fois ces critères établis, il serait préférable de surveiller attentivement le patronat qui sera peut-être enclin à discriminer les travailleurs âgés. Par contre, je dois admettre que les préjugés entendus sont souvent favorables à l’égard des travailleurs âgés: honnêtes, ponctuels, disponibles, expérimentés, passionnés, etc., autant de qualificatifs qui ressortent régulièrement des commentaires des patrons ayant engagés des personnes âgées. Encore qu’il faudra leurs offrir les opportunités d’être formés pour des emplois de qualité; il faut que ces travailleurs soient aptes à s’adapter à l’évolution technologique, qui est constante et universelle. Et malheureusement pour les personnes de l’âge d’or ou qui sont sur le point d’y entrer, il serait juste et équitable qu’ils contribuent davantage financièrement, par le truchement des impôts ou cotisations au régime des rentes par exemples, puisqu’ils vont exercer une pression indue sur les caisses de retraites et sur le système de santé. Les jeunes reconnaissent leur apport considérable qu’ils ont apporté à la société lors du siècle dernier. Les jeunes reconnaissent qu’ils ont peiné, payé, construit et qu’ils n’ont demandé en retour que le respect et la dignité. Mais la situation présente et à venir exige un effort supplémentaire, qui plus est, de ceux qui deviendront le nœud du problème qu’on a nommé “le vieillissement de la population”.

(1) - Institut de la Statistique du Québec, Perspectives démographiques du Québec et des régions 2006-2056, Gouvernement du Québec, 2009, p.48 - Tableau 3.3.

(2) - Institut de la Statistique du Québec, Espérance de vie à la naissance et à 65 ans selon le sexe, Québec, 1980-1982 à 2006-2008, Gouvernement du Québec, 2009, Tableau statistique.

(3) - Réseau de recherche en santé des populations du Québec, Les dépenses de santé aux Québec: La bataille des chiffres, Université de Montréal, Montréal, 2006, p.12.

(4) - DORMONT, Brigitte, Dépense de santé et vieillissement, Université Paris Dauphine, Paris, 2007, p.4.

(5) - Institut de la Statistique du Québec, Le bilan démographique du Québec, Gouvernement du Québec, 2009, p.24.

(6) - PICHER, Claude, Le drame des régions, La Presse, 5 décembre 2009.

(7) - Conseil du Patronat du Québec, La planification de l’immigration au Québec pour la période 2008-2010, Montréal, 2007, p.7.

(8) - Ontario immigration, Gouvernement de l’Ontario, http://www.ontarioimmigration.ca/french/about_people.asp

(9) - LEDUC, Louise, La Presse, Immigration jeune et instruite, Montréal, 2009.

(10) - Institut de la Statistique du Québec, Tableau statistique du taux de fécondité, Gouvernement du Québec, Québec, 2009.

(11) - Wikipédia, Taux de fécondité, http://fr.wikipedia.org/wiki/Taux_de_f%C3%A9condit%C3%A9

(12) - Fédération du Québec pour le planning familial, Les statistiques en matière d’avortement, Montréal, 2006.

Image: Sommet Génération d'Idées 2010 - http://sommet-gedi.ca/

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