dimanche 21 août 2011

Dindification

Imaginez une dinde. Pendant mille jours, le gentil fermier lui prodigue de délicates attentions tout en s’assurant de son bien-être. Chaque jour qui passe confirme à l’oiseau que le fermier est vraiment très gentil. La dinde n’a aucune raison de croire que le pire puisse lui arriver; pour elle, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. De son point de vue, demain sera forcément la réplique d’hier ou d’aujourd’hui. Soudain, contre toute attente, le mille et unième jour est fatal: on lui tranche la tête. Morale de l’histoire: mille jours durant, la dinde ne se sera jamais doutée qu’elle servira de repas. Ce comportement qu’adopte la dinde est ce que je nomme un processus de dindification, une opération qui consiste à devenir crédule; et la dinde, dans l’histoire, c’est vous.

Le but de ce livre est de vous démontrer comment nous nous laissons imprégner par des discours auxquels nous adhérons tous sans distance critique. Ce faisant, ces discours ont de profonds impacts sur nos vies — Théorie des tendances —. Voici le trajet que je vous propose:

Dans la première partie, vous découvrirez ce qu’il y a sous l’épiderme de la dinde. Vous appréhenderez la mécanique qui sous-tend les tendances qui finissent par devenir des systèmes de valeurs auxquels vous adhérez sans vous poser de questions. Surtout, vous mesurerez la puissance de l’imprévisible, alors que vous avez la certitude que tout est contrôlable.

Dans la deuxième partie, vous verrez comment l’écologisme a su structurer tout un système de valeurs qui prétend que votre comportement de consommateur compulsif est la cause de tous nos malheurs collectifs actuels et à venir. Constat? Vous devez vous repentir et faire acte de contrition. Malgré vous, vous êtes devenu à la fois un conscrit et un combattant du réchauffement climatique. L’urgence de la situation semble exiger réparation tellement la planète est malade de l’homme. Et vous y croyez…

Dans la troisième partie, vous constaterez comment le réseau est venu bouleverser la vie paisible et tranquille de la classe moyenne. Il fut un temps où vous pouviez vous construire un récit de vie durable, grâce à votre emploi, tout en mettant de l’avant votre talent et votre expérience. Tout ça est à mettre à la poubelle. On n’exige plus de vous ces deux qualités; vous avez plutôt besoin de compétences à profusion que vous devez continuellement remettre à jour selon la technologie à la mode. Et vous y croyez…

À la lecture de la quatrième partie, vous verrez à quel point vous contribuez généreusement à l’enrichissement de cette œuvre collective que sont le Web et ses dérivés. Les Google, Facebook et autres Twitter de ce monde moissonnent gratuitement tout ce que vous produisez pour en retirer des profits colossaux. Avec l’arrivée des réseaux sociaux de surcroît, on vous oblige à l’ouverture, à la collaboration, au partage et à la transparence. La vie privée n’a plus de sens dans un tel univers. Et vous y croyez…

Et vous y croyez, encore et encore, jusqu’au mille et unième jour…

Y a-t-il moyen d’éviter de se comporter comme une dinde et de constamment faire les frais du mille et unième jour? Avant même de tenter de répondre à cette question, je vous renvoie à votre propre comportement pendant l’été 2008, quand le prix du pétrole flambait. De l’essence à 1,50 $ le litre? Non merci! Pourtant, dès le prix revenu à la normale, vous avez repris vos bonnes vieilles habitudes. Pire encore, les ventes de véhicules 4 x 4 et de véhicules multisegments ont monté en flèche. Même le PDG de Ford s’en est étonné. C’est tout dire!

Nous verrons qu’il existe une solution simple, à la portée de tous. Mark Twain l’a déjà entrevue: « Dès que vous vous retrouvez du côté de la majorité, c’est le temps de prendre une pause et de réfléchir. » Le problème est que cette solution n’est pas simple à mettre en œuvre à cause de notre tendance naturelle à vouloir confirmer nos premières hypothèses.

FRASER, Prierre, Dindification, Éditions Transcontinental, février 2011, 144 pages.

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